Honoré de Balzac
[Sources : Balzac,
l'homme de lettres de plomb, François
Bon, Balzac
et Maurice
Tourneux, Balzac.]
La haute stature de Balzac - considéré comme le créateur
du roman réaliste moderne - domine tout le XIXe siècle.
Journaliste, industriel manqué, créateur de près
de cent romans en vingt ans, figure brillante d'une société
à laquelle il finit par s'imposer ; mais perpétuellement
endetté, Balzac se confond avec cet
enfant du siècle
dont il a contribué à construire le mythe. Celui d'un
homme d'action et de désir, doublé d'un rêveur
déchiré et blessé par les contradictions du monde
qui s'industrialise. L'écrivain George Sand le décrit
ainsi :
« Puéril et puissant, toujours envieux d'un bibelot,
et jamais jaloux d'une gloire, sincère jusqu'à la
modestie, vantard jusqu'à la hâblerie, confiant en
lui-même et aux autres, très expansif, très
bon et très fou, avec un sanctuaire de raison intérieure,
où il rentrait pour tout dominer dans son oeuvre, cynique
dans la chasteté, ivre en buvant de l'eau, intempérant
de travail et sobre d'autres passions, positif et romanesque avec
un égal excès, crédule et sceptique, plein
de contrastes et de mystères, tel était Balzac encore
jeune, déjà inexplicable pour quiconque se fatiguait
de la trop constante étude à laquelle il condamnait
ses amis, et qui ne paraissait pas encore à tous aussi intéressante
qu'elle l'était réellement. »
Balzac naît à Tours (Indre-et-Loire, France) en 1799.
Placé, dès l'âge de huit ans, chez les oratoriens
qui dirigent le collège de Vendôme dont le régime
est des plus sévères, il ne témoigne de la
puissance de ses facultés naissantes qu'en les appliquant
à des objets étrangers à ses études.
Après avoir fait ses humanités, il entre comme clerc
d'avoué dans l'étude d'un avocat, puis passe chez
un notaire. Contre la volonté formellement exprimée
de sa famille, il manifeste des velléités littéraires
encore assez confuses et, pour se faire la main, écrit
une douzaine de romans qu'il proscrira lui-même de ses uvres
complètes. Il collabore aussi à de nombreux journaux.
Homme de désordre, [il] passa sa vie à
essayer en vain de se mettre en ordre
(Remy de Gourmont)
Avide de gloire et de richesse, il se lance en 1825 dans les métiers
du livre (éditeur, puis imprimeur et fondeur de caractères
typographiques), une aventure dont il sortira ruiné à
tout jamais. Cette expérience n'en nourrira pas moins la
suite son uvre et en particulier son ouvrage monstre,
Illusions perdues, dans lequel il raconte l'histoire de David
Séchard, un imprimeur de province et de son ami Lucien Chandon,
qui fréquente le petit monde de l'édition parisienne
En 1822, Balzac devient l'amant de Laure de Berny, de loin son
aînée, qui lui tiendra lieu de tout : mère,
maîtresse, initiatrice au monde, soutien financier dans les
entreprises hasardeuses qu'il tente. Mme de Berny est aussi le modèle
de toutes ces femmes qui hantent le monde de Balzac ; femmes mûres,
souvent désenchantées, qui aiment - alors qu'elles
ont déjà vécu - des jeunes gens à qui
elles apprennent l'essentiel : telle sont Mme de Mortsauf (Le
lys dans la vallée) et Mme de Bargeton (Illusions
perdues).
Ses relations amoureuses avec Mme de Berny, qui lui ouvre les portes
des salons fermés de l'aristocratie, sont le prélude
à une carrière d'écrivain à la mode.
Les Chouans, La physiologie du mariage et Peau
de chagrin lui assurent la célébrité à
partir de 1829-1830.
Vers 1833, Balzac imagine de faire revenir des personnages déjà
créés dans ses romans antérieurs. Il conçoit
le projet de la Comédie humaine, un grand cycle de romans
qui relate les aventures d'une série d'individus unis par
les liens du sang ou de l'amitié. Une idée que l'auteur
qualifie lui-même de géniale et qui lui permettra
de forger l'unité de ce qui pourra devenir une fresque du
monde moderne. C'est dans Le père Goriot que Balzac met pour
la première fois en pratique cette innovation, dont les conséquences
vont être fondamentales pour la suite d'une uvre, dont
Victor Hugo dira :
« Tous [c]es livres ne forment qu'un livre, livre vivant,
lumineux, profond, où l'on voit aller et venir et marcher
et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effaré et de terrible
mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine
; livre merveilleux que le poète a intitulé Comédie
et qu'il aurait pu intituler Histoire, qui prend toutes les formes
et tous les styles. Livre qui est l'observation et l'imagination.
»
Comme beaucoup de ses confrères, Balzac espère aussi
trouver fortune et gloire au théâtre, mais ses rares
incursions dans le domaine se soldent par des échecs. Il
n'est pas plus heureux quand il veut créer un organe de presse
indépendant : « La Chronique de Paris » (1835)
ne dure guère plus d'une année; la « Revue parisienne
» (1840), dont il est l'unique rédacteur, n'a que trois
numéros. Les déboires que lui causent ces tentatives
et la perte de temps qui en résulte n'empêchent pas
ce prodigieux travailleur de poursuivre avec acharnement son travail
d'écrivain.
Malgré ses dettes, Balzac vit dans le luxe, s'habille comme
un dandy, à défaut d'en avoir le physique, dépense
sans compter les avances versées pour des uvres qu'il
n'a pas encore écrites et qu'il s'épuise à
livrer à temps. Il court après le temps, après
les illusions du monde, travaille dix-huit heures par jour, boit
des torrents de café et frôle la folie en juin 1832.
Dès 1833, il entretient avec une grande dame d'origine polonaise,
Eve Hanska, née Rzewuska, une correspondance, suivie bientôt
de diverses rencontres à Vienne, à Genève,
et enfin à Saint-Pétersbourg, où il se rend
en 1840. Devenue veuve, Mme Hanska consent à un mariage que
retardent l'établissement de sa fille et le règlement
de ses affaires d'intérêt.
Après un long séjour au château de Vierchovnia
(gouvernement de Kiev), pendant lequel il manque de succomber à
l'hypertrophie du cur qui le mine, Balzac épouse celle
qu'il appelle son étoile et pour qui il meuble depuis
plusieurs années, avec tous les raffinements du luxe et du
bien-être, un petit hôtel de la rue Fortunée
(aujourd'hui rue Balzac). Le mariage est célébré
le 14 mars 1850 à Berdytcheff (Russie) ; mais après
un voyage des plus pénibles, Balzac ne revient à Paris
que pour y mourir, le 18 août 1850, dans l'indifférence
générale. Cette fin, qui, en d'autres temps, eût
pris l'importance d'un deuil national, passe presque inaperçue.
Balzac n'appartient pas à l'Académie, auprès
de laquelle il a fait d'inutiles démarches, et qui l'a écarté
sans doute par cette puérile accusation d'immoralité
qu'on lui a tant de fois prodiguée
Depuis, il faut
le reconnaître, la postérité a largement pris
sa revanche.
Balzac met à la mode le travail acharné; mais
aucun autre écrivain ne semble s'être jamais livré
à d'aussi effroyables orgies d'écriture
On admire généralement la puissance de travail de
Balzac, son courage à accepter des labeurs surhumains, son
stoïcisme au milieu des terribles embarras d'argent qui dévorent
une partie de son existence. Balzac est un prodigieux travailleur
et sa vie est vraiment infernale. Sa correspondance, notamment avec
Mme Hanska, est pleine des plus pitoyables aveux concernant la condition
de forçat dans laquelle le contraignaient l'ambition et la
nécessité.
Balzac n'est pourtant pas le seul de son temps à transformer
le plaisir d'écrire en labeur. Alexandre Dumas, George Sand,
Sainte-Beuve, Victor Hugo et d'autres se donnent entièrement
à leur travail ; mais lui, Balzac, les dépasse par
la violence physique avec laquelle il crée son uvre.
Il a aussi cette illusion que la gloire d'un écrivain se
mesure comme la gloire d'une montagne et que la plus solide est
celle qui se dresse sur la plus haute pyramide de livres. Il est
très probable que, riche et indépendant, il eût
travaillé avec un acharnement tout pareil.
Le roman, grâce à Balzac, est un genre total, qui
contient tout : l'invention, le style, la pensée, le savoir,
le sentiment. Souple, réaliste et visionnaire, universel
et détaillé, il peut être une véritable
somme. Il peut tout dire et tout éclairer, concurrencer non
le seul état civil, mais la science, analogique et déductif
comme elle ; et comme elle épris d'abord de vérité.