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Marie Trintignant
[Source : Antoine de Baecque ; in « Libération
», n° 6'910 du 1er août 2003 ; article repris in «
Femina », n° 33 du 17 août 2003.]
Une étrange beauté, sombre. Marie Trintignant porte
ce visage fin, fragile, tourmenté, depuis vingt-cinq ans à
travers le cinéma français. Et l'on s'est plusieurs
fois demandé comment la toute jeune femme au comportement un
peu fruste, renfermé, est devenue une comédienne inattendue
et subtile. J'ai été très malheureuse pendant
très longtemps, comme comédienne et comme femme,
disait-elle aux Inrocks, en mai 1999, et c'est peut-être là
l'explication : les rôles, les personnages, les rencontres,
sa famille, ont peu à peu construit Marie Trintignant, la tirant
hors de sa mélancolie, la rendant plus sereine au fur et à
mesure qu'elle devenait plus mûre. L'itinéraire de Marie
Trintignant est celui d'une enfant du sérail, certes, mais
elle a fait son chemin, avec des temps morts, des arrêts, des
reprises et beaucoup de traverses. Rien à voir avec la génération
spontanée des Sophie Marceau, des Sandrine Bonnaire ou même
de Charlotte Gainsbourg, qui, chacune, ont éclaté d'un
coup à la une des magazines.
Trajectoire en clair-obscur d'une comédienne subtile et
inattendue
Marie Trintignant grandit dans le milieu, puisqu'elle naît,
en 1962, au sein de l'une de plus fameuses familles de cinéma,
le clan Trintignant. Jean-Louis, le père, est l'un des principaux
comédiens français depuis la fin des années 50
et le couple qu'il forme avec Brigitte Bardot dans Et Dieu créa
la femme. Nadine Trintignant, la mère (et sur
de l'acteur et mari de Brigitte Bardot, Christian Marquand), tourne
des films après avoir été monteuse et scénariste.
Vincent Trintignant, le frère aîné, est quant
à lui devenu l'un des assistants réalisateurs les plus
demandés du cinéma français. Je ne sais pas
si je serais devenue comédienne si j'étais née
dans un autre milieu. L'avantage d'avoir des parents comme les miens,
c'est qu'on voit tout de suite les tares de ce métier,
dira-t-elle un jour.
Le clan Trintignant n'a jamais été épargné
: succès et reconnaissance, mais aussi ruptures et drames familiaux.
Marie est au cur de ces tumultes, son enfance puis sa jeunesse
en sont marquées. Alors qu'elle a 9 ans, sa petite sur
meurt subitement. L'adolescente s'enfonce dans le silence et le mutisme
pour de longues années. A 28 ans, c'est son tour, avec un gravissime
accident de voiture : Je suis passée à travers le
pare-brise. J'ai été couturée de partout. Je
suis une femme en tôle froissée (« Libération
» du 9 septembre 1996). Son père, lui, quitte définitivement
Paris, ne jouant plus que de temps en temps, pour s'installer dans
une grande maison près d'Uzès, solitaire, misanthrope,
longtemps affaibli par un accident de moto. Il se dit lui-même
désespéré, oui, mais pas triste. Je
ne me fais aucune illusion sur l'avenir des hommes et encore moins
sur le mien.
Marie s'installera à son tour près d'Uzès, pendant
longtemps, chacun y a sa maison à quelques kilomètres
de distance. Il y a quelque chose d'organique entre nous. Un rythme
qui est le même. Nous deux, c'est comme si nos flux sanguins
revenaient au même moment..., a dit l'actrice à propos
de cette passion qui la lie à son père.
Les premiers rôles de Marie Trintignant restent d'ailleurs dans
la famille. Sa mère la fait jouer, toute gamine. En 1967, c'est
Mon Amour, mon amour, puis Ça n'arrive
qu'aux autres (1971), Défense de savoir
(1973), Premier Voyage (1979). Et elle tournera encore
avec Nadine Trintignant : L'Eté prochain en 1984,
Fugueuses en 1994... La vraie découverte, on
la doit à Alain Corneau, qui révèle la toute
jeune actrice de 16 ans dans Série noire, en
1978, aux côtés de Patrick Dewaere. Elle y est Mona,
adolescente autiste au silence buté. Ensuite, ce fut, peu à
peu, l'apprentissage de la parole : trouver sa voix, difficilement,
délicatement. Marie Trintignant la posait sur un registre particulier,
toujours au bord du déraillement, une voix de fumeuse inoubliable.
De même, on a longtemps l'impression en la voyant sur un écran,
et c'est cette impression qui touche, qu'elle ne maîtrise pas
ses émotions, ses sentiments, ni même ses gestes ou la
technique du jeu : ses élans, son ambiguïté, sa
perversité, sa folie, elle les subit plutôt. Par exemple,
en 1987, dans La Maison de Jeanne, un film de Magali
Clément, où l'actrice campe une jeune fille qui choisit
de devenir punk.
Apprendre la légéreté
Enfin, Claude Chabrol l'aide à devenir femme. Jusqu'à
lui, j'avais l'impression d'être malhonnête si je n'étais
pas engagée jusqu'à l'extrême douleur dans mes
rôles. Il m'a appris la légèreté, il m'a
appris à grandir sans tragédie.C'est d'abord, en
1988, Une affaire de femmes, auprès d'Isabelle
Huppert, où elle joua si bien la pute qu'on lui proposa par
la suite une dizaine de rôles semblables. Puis, surtout, Betty,
en 1992, son personnage le plus abouti. Là, elle joua si bien
l'alcoolique que les propositions du même ordre tombèrent.
Elle les refusa. Serait-elle la nouvelle Stéphane Audran de
Chabrol ? Pas vraiment, car Marie Trintignant a aussi le goût
du risque, parfois le plus extrême : elle choisit le plus souvent
des jeunes cinéastes et des personnages pas commodes, déglingués
: Je n'aime pas les rôles « Sécurité
sociale ». Il me faut des personnages qui ont un handicap. De
toute façon, un beau personnage a toujours de graves faiblesses.
D'où son intérêt pour les premiers films : Des
uvres que les gens portent généralement longtemps
en eux...
Le plus marquant de ces jeunes artistes est Pierre Salvadori, qui
tente une percée dans la comédie à la française
de bonne tenue, difficile gageure. Ils font trois films ensemble :
Cible émouvante (1992) en adorable voleuse,
puis Les Apprentis (1994) et Comme elle respire...
(1997), où elle est Jeanne, mythomane qui frôle l'imposture
et la dépasse même en montant son enlèvement,
et en tombant amoureuse de son ravisseur. Elle tournera encore avec
Martine Dugowson, Yvon Marciano (Le Cri de la Soie et
ce rôle de fétichiste hystérique qui ne jouit
que dans l'étoffe) ou Jacques Doillon, dans Ponette
: une femme morte qui revient.
L'existence de Marie Trintignant est belle et touchante, car, comme
le dit le personnage de Muriel Brown dans Les Deux Anglaises
de Truffaut, la vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas.
Ce à quoi faisait écho cet aveu de l'actrice : Je
n'ai jamais cru que la vie se faisait d'un seul tenant. Ma vie est
faite de morceaux de vie. Une existence en virages, donc, hors
du cinéma par les cours et les planches du théâtre
ou ces apparitions à la télévision dans les dramatiques
de sa mère. Pas de plan de carrière, mais une carrière
en suspense. Et des fragments d'histoire d'amour aussi, nombreux,
souvent tumultueux et passionnels. Dans la maison de Belleville, où
elle vivait depuis quelques années, il y a quatre garçons,
Roman (17 ans), Paul (10 ans), Léon (7 ans), Jules (5 ans),
nés de trois pères, Richard Kolinka, le batteur du groupe
Téléphone, l'acteur François Cluzet et Samuel
Benchetrit, auteur, metteur en scène, qui avait permis à
sa femme de retrouver au théâtre, son père, toujours
lui, dans Comédie sur un quai de gare.
L'amour trop fort
Avec Nadine, sa mère, qui signa en avril 1971 le manifeste
des 343 salopes reconnaissant avoir avorté, elle partageait
une autre cause, le féminisme. L'aînée des Trintignant
était, par ses films, l'un des emblèmes de la première
génération féministe. Sa fille, elle, avec ses
quatre enfants de trois hommes, son indépendance farouche,
était devenue le symbole d'une autre génération,
celle des femmes qui décident souverainement de leur vie. Elles
s'étaient retrouvées pour des projets communs, comme
Victoire, ou la Douleur des femmes, feuilleton pour
France 2 en l'an 2000 qui retraçait ce féminisme à
la française. Puis, il y a peu, pour l'écriture du scénario
de Colette, d'après la vie de l'écrivain
femme libre, pour France 2 aussi.
C'est à la fin de ce tournage, en cours depuis deux mois à
Vilnius (Lituanie), que Marie Trintignant, à 41 ans, a été
victime d'une violente dispute avec son nouveau compagnon, Bertrand
Cantat, chanteur de Noir Désir. Elle l'avait rencontré
il y a six mois, ils vivaient depuis peu ensemble à Paris même
si chacun restait marié de son côté. Ils s'étaient
déplacés en couple à Vilnius. Cette passion,
selon des témoignages, n'était pas discrète,
elle débordait, forte et tumultueuse comme souvent avec Marie
Trintignant. Ni avec toi ni sans toi, disait Fanny Ardant à
Gérard Depardieu à la fin de La Femme d'à
côté, de Truffaut, avant de tuer son amant et
de se suicider. C'était le film que Marie Trintignant aimait
par-dessus tout, celui de l'amour trop fort, de l'amour impossible.
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