Sitôt formulé, le nom de
Georges Simenon, le dernier monstre sacré des lettres françaises
en appelle aux ambiances de pluie, aux pavés luisants sous
le halo des réverbères, aux silhouettes imprégnées
de brume, aux ruelles sordides sur lesquelles flotte un parfum d'interdit.
Pourtant, le père de Maigret, c'est bien plus qu'une image
d'Epinal.
Faut-il rappeler qu'il a investi l'imaginaire planétaire,
au même titre que ses compatriotes Hergé, Magritte
ou Brel ? Que son uvre, adaptée en cinquante-sept langues
s'est arrachée aux quatre coins de la planète, à
raison de cinq cents millions d'exemplaires vendus.
Personne mieux que lui n'a senti la France profonde de l'entre-deux
guerres. Personne n'a mieux traduit les bouleversements provoqués
par l'essor de la société marchande : l'émergence
de la classe moyenne sur le champ socioculturel, la destruction
des espaces de références traditionnels, l'éclosion
de la culture de masse, la déshumanisation de l'individu,
le déracinement du citadin.
Miroir du monde, Simenon est surtout, quoi qu'on en dise, un écrivain
talentueux, mieux : un créateur. Comme Céline feint
d'imiter le parler populaire, Simenon invente un style qui n'existe
nulle part ailleurs que dans ses livres, mais que chacun peut revendiquer
comme sien : le style de la majorité silencieuse.
Tout ce qui façonne son univers mélange, avec un incontestable
génie les platitudes héritées de la tradition
populaire et les trouvailles suscitées par la modernité.
En quelque sorte, Simenon est le premier à réconcilier
les traditions littéraires des 19e et 20e siècles,
louvoyant entre le lieu commun et le lieu singulier pour créer
une uvre attachante entre mille, une uvre universelle,
ouverte sur le temps à venir.
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