Tel est le
sentiment que nous avons pu ressentir lors de
notre visite des cimaises du Centre de Rencontres
de Cartigny. Ce fait, tout de même rarissime,
mérite d être relevé comme
il se doit.
Depuis trois années environ, Martina
ne nous avait pas procuré le plaisir
d'une exposition personnelle. Ce 4 mars fut,
par conséquent une heureuse redécouverte
de cet artiste qui fut professeur à l'École
des Arts Décoratifs de Genève
et membre de la Société des Artistes
Français. La liste de ses expositions
person-nelles ou en groupe est assez éloquente
pour confirmer, si besoin en était, que
notre région peut s'honorer d'un artiste
au talent maîtrisé et doté
d'une personnalité discrète et
attachante.
Est-ce là le lot de tout artiste-peintre
paysagiste digne de ce nom ! Nous le croyons
bien volon-tiers et c'est tout à l'honneur
de cette discipline artistique exigeante qui
ne souffre aucune approximation, faiblesse,
gesticulation ni... mensonge !
Ce sont quelque septante aquarelles, lavis,
pastels et dessins qui sont accrochés
à Cartigny.
Ses aquarelles, aux larges effets vaporeux qui
se perdent dans des lointains évanescents
témoignent d'un savoir-faire du meilleur
aloi. Elles nous conduisent dans la campagne
genevoise, sur les bords du Rhône avec
quelques brèves incursions en Pays savoyard.
Par ce procédé, les émotions
de l'artiste sont interprétées
et portées sur le papier avec un raffinement
et un sens de l'harmonie qui font tout leur
intérêt bien que certains craignent
la dominance des ciels au détriment de
la composition générale. Chacun
est juge.
Nous avons encore devant les yeux Premier
printemps... une roselière qui bascule
ses ocres délicats dans les eaux d'un
étang sous les lueurs diffuses d'un soleil
encore incertain. Bien des choses y sont dites
et il y a du bonheur à se faufiler dans
cet univers de demi-teintes, posées avec
la science consommée d'un vieux briscard
à qui on ne la fait plus !...
Quant aux dessins et procédés
assimilés, c'est une autre histoire !
Si, bien entendu, on retrou-ve la spiritualité
dominante de l'artiste dans leur exécution,
les nouveaux outils mis à sa disposi-tion
lui permettent une toute autre expression en
particulier dans le traitement des arbres. Là,
force, dextérité, puissance et
harmonie sont à leur apogée.
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Ses arbres
sont racés, puissants, tiennent bien
sur leurs racines. Leurs branches, porteuses
de vie, s'élancent dans l'espace avec
une élégance que n'aurait certainement
pas renié Corot.
Quel bonheur de voir enfin,
sur les cimaises, tant de vérités
exprimées avec une sincérité
qui transcende le simple savoir-faire et nous
rendent heureux. Dans les sous-bois feuillus,
la lumière habilement, conduit le regard
tout au bout d'un chemin qui se dilue dans une
pénombre très douce et très
mystérieuse. L'air y circule librement,
il fait vibrer les feuillages en une brise légère
et toute amicale.
D'ailleurs, tout l'uvre peint ou dessiné
de Martina n'est que légèreté.
Mais que l'on ne s'y trompe pas ; au-delà
des apparences, il y a dans le caractère
de ce rude combattant, une force, une foi, une
conviction, un respect infini de la nature dont
bien des rapins devraient s'inspirer.
Pensons encore à son Bouquet de bouleaux.
Un grand fusain plein de grâce dans lequel
et malgré l'absence d'un point de fuite,
la perspective et la profondeur sont tout simplement
données par la force graduée du
trait et le jeu des ombres et de la lumière.
C'est du grand art !
C'est du grand art également pour une
« petite chose » qui ne va pas chercher
midi à quatorze heure. Elle est accrochée,
toute menue et discrète dans la salle
des dessins. C'est une création, il nous
semble, à base de sanguine et de sépia
sur un joli papier bistre... Elle est si harmonieuse,
si parfaite dans ses jeux de couleurs chaudes
qui se chevauchent, se croisent et s'entrecroi-sent
à la limite de l'abstraction. Il est
tout de même curieux de constater que
les regards des visiteurs ne font que l'effleurer
avec une certaine indifférence. Et pourtant
!
Au cours de notre promenade nous avons discrètement
prêté l'oreille aux bavardages
et commentaires des invités. «
C'est une peinture triste » avons-nous
entendu... Allons donc ! Quelle sottise ! Quelle
absence de culture large d'esprit et de compréhension
! Faut-il faire hurler les couleurs ! Faut-il
saboter le dessin pour être entendu !
Ne pouvons-nous pas penser que cette réflexion,
issue peut-être de certains courants conduits
par des gesticulateurs soi-disant avant-gardistes,
n'est que le fruit amère d'une absence
totale de sensibilité.
Mais bien sûr que non, l'uvre de
Martina n'est pas triste ! Elle est au contraire
toute joyeuse et pimpante. Elle est aussi pudique
et sans exubérance. Elle distille le
bonheur et la joie de vivre. Elle est la résultante
de la pensée et de la réflexion
d'un artiste qui dialogue dans le silence avec
la nature, sa mère nourricière
et bienveillante qui, à l'issue de la
séance sur le motif, lui chuchote, sans
doute, dans le creux de l'oreille, un poème
dans la paix et la tiédeur de l'atelier..
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