Arnold Schuttringer
[Trop d'argent en caisse]
Nouvelle

Les enquêtes du juge Froget ; [06]

  • Rédaction
    A bord de l'Ostrogoth, Stavoren (Pays-Bas), durant l'hiver 1929-1930.
    Selon les archives secrétariales et le livre de comptes de Simenon : durant hiver 1930-1931.


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    Dans l'hebdomadaire « Détective », n° 77 (énigme) et 79 (dénouement) des 17 avril et 1er mai 1930 (soit 2 livraisons), sous le pseudonyme de Georges Sim.


     



    Arnold Schuttringer, 1930.
    Publication en préoriginale.



  • Edition originale
    In Les 13 coupables (Paris, A. Fayard, 1932).
    L'ouvrage est publié sous le patronyme de l'auteur.


  • Réédition(s) en français
    Liste non exhaustive

    En revue :
    Dans le mensuel « Le Saint, détective magazine » (Paris, A. Fayard) n° 8 d'octobre 1955 sous le titre Trop d'argent en caisse et publiée sous le patronyme de l'auteur ; dessin de Flip.


     


      Trop d'argent en caisse, 1955.
    Réédition.


  • Edition(s) collective(s) en français
    Liste non exhaustive

    In Œuvres complètes (Lausanne, Editions Rencontre, 1967-1973) - tome VI.
    In Tout Simenon (Paris, Presses de la Cité, 1988-1993) - tome 17.
    In Tout Simenon (Paris, Omnibus, 2002-2004) - tome 17.


  • Traduction(s)
    Liste non exhaustive

    En allemand :
    [ ? ] : [ ? ].

    En anglais :
    [ ? ] : [ ? ] (première édition américaine).
    [ ? ] : [ ? ] (première édition anglaise).

    En italien :
    [ ? ] : [ ? ].


  • Remarque(s)
    Arnold Schuttringer est le sixième volet d'une série de treize nouvelles qui font l'objet d'un concours hebdomadaire, primé en espèces. Chaque nouvelle s'étend sur deux numéros : dans le premier sont posés tous les éléments de l'énigme ; dans le second, en quelques lignes, est donné son dénouement.


  • Intrigue
    Paris (France). Le juge Froget laisse tomber ses mots avec un calme terrible. Et durant tout l'interrogatoire, il restera immobile, les épaules inégales, le front dans sa main, blanche, presque cireuse. En face de lui, Arnold Schuttringer le regardera de ses gros yeux à fleur de tête qui inspirent l'antipathie et même une certaine répulsion.

    Trente ans. Un mètre quatre-vingts. Un air trop nourri, ou plutôt trop gonflé de sève. Les lèvres, à cet égard, sont caractéristiques. L'ourlet en est épais et dur. Elles ressemblent à un fruit prêt à éclater. La chair du visage a quelque chose de malsain. Elle est trop blanche, en dépit du rose des pommettes qui fait penser à un maquillage. Cheveux blonds très courts. Sourcils clairsemés. Un complet gris trop étroit qui serre de partout et donne aux muscles des allures de boursouflures.

    Né à Zurich de père allemand et de mère autrichienne, Arnold Schuttringer a d'abord étudié la chimie à Nuremberg, puis a décidé de poursuivre des études de médecine à Paris. Il travaille à la Pharmacie Centrale, rue Blanche. Il prend son service à huit heures du soir et le quitte à huit heures du matin car l'officine est ouverte nuit et jour. Durant son travail, Arnold Schuttringer se tient dans le laboratoire, où il prépare les ordonnances. Au magasin, où il ne se rend presque jamais, se trouve la place de Mme Joly. Elle a trente-cinq ans. Son mari est un homme violent et jaloux. Régulièrement, il rôde autour de la pharmacie, afin de surveiller sa femme qu'il soupçonne d'être la maîtresse de Schuttringer. Ce qui est le cas.

    Entre Froget, glacé et donnant l'impression de réciter un texte, et Schuttringer, qui ne le quitte pas de ses gros yeux soupçonneux, pas de combat, ni de pathétique. L'interrogatoire est d'une plate monotonie.

    La nuit du 4 au 5, Arnold Schuttringer et Mme Joly ont pris leur service comme d'habitude. Du soir au matin, treize clients se sont présentés à la pharmacie. La caisse enregistreuse en fait foi. Schuttringer a été appelé deux fois pour des ordonnances. A onze heures, M. Joly — qui avait été au cinéma — est venu voir sa femme. A deux heures, une chanteuse de cabaret de la rue Pigalle s'est présentée et a attendu plusieurs minutes seule dans le magasin. Elle déclare que la vendeuse qui est arrivée enfin était ébouriffée et très rouge.

    Le 5, Mme Joly — qui d'ordinaire part à sept heures afin d'être rentrée chez elle avant le réveil de son mari — n'a quitté la pharmacie qu'à huit heures. Elle a donc attendu, en manteau, l'arrivée des employés de jour. Schuttringer est parti peu après elle.

    A neuf heures, M. Joly vient se plaindre à la pharmacie de ne pas avoir revu son épouse. Le patron ayant refusé de lui donner l'adresse de Schuttringer, il s'est rendu à la Faculté de médecine, sans plus de succès.

    A cinq heures de l'après-midi, une commande inattendue arrive à la pharmacie et oblige un magasinier à descendre à la cave. Ne trouvant pas ce qu'il cherche, l'homme pénètre dans un local annexe, la réserve, dans lequel sont enfermés les produits dangereux. Sous un sac, il découvre le corps d'une femme en trois tronçons, rongé par du vitriol (acide sulfurique).

    L'autopsie démontre que la mort remonte à moins de vingt-quatre heures et M. Joly reconnaît formellement, dans les lambeaux qui lui sont présentés, les vêtements que portait sa femme.

    Durant la nuit du 4 au 5, les treize clients de la pharmacie ont laissé dans la caisse la somme de 96 francs 25. La dernière somme enregistrée est de 5 francs 75. Ce qui ne peut correspondre qu'à un paquet de coton hydrophile B. Aucun autre produit ne coûte cette somme. Or, dans les rayons, il ne manque aucun paquet de coton : le dernier emballage ouvert est toujours complet.

    Ce qui prouve que, le matin du 5, 5 francs 75 sont entrés dans la caisse, mais ne représentent aucune sortie de marchandise.

    Pour la première fois, le juge Froget change d'attitude. Il devient hautain et sa voix si tranchante que Schuttringer perd toute contenance. Et d'un geste ignoble, il se passe la main sur le cou, qu'il a bombé de graisse :

    — Une tête de plus à votre actif ! Vous êtes fier, hein !

    Froget ne semble pas l'entendre. Il note sur un calepin : Joly, mari jaloux, devient dangereux, mais il est difficile de le tuer sans risque. Ce sera donc Mme Joly qui passera pour morte. Pendant la nuit du 4 au 5, les amants attendent que se présente à la pharmacie une cliente dont l'aspect corresponde plus ou moins à celui de Mme Joly. Même âge. Même taille. Même embonpoint.

    Meurtre. Changement de vêtements. Vitriol. Mme Joly attend ses collègues en manteau, afin de cacher une robe qui n'est pas la sienne. Seulement, auparavant, elle commet la faute de remettre le coton hydrophile dans le rayon ; ce coton qui a été payé et qui n'est pourtant pas sorti de la pharmacie parce que son acheteuse, non plus, n'en est pas sortie.


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