Texte intégral
EVARISTE CARPENTIER.
C'est une des personnalités les plus alertes, un des tempéraments
les plus robustes du monde artistique belge, qui a disparu cette
année avec EVARISTE CARPENTIER.
Né à Anvers en 1845, élève de l'Académie
de la Métropole, le peintre réalise un mélange
intime de nos deux races nationales. Du flamand, il possède
la robustesse, sans lourdeur toutefois, une robustesse qui se traduit
par la construction impeccable des masses. La race flamande lui
a légué aussi le goût des couleurs riches, des
lumières luxuriantes.
Sans doute doit-il au pays wallon certain frisson nostalgique, une
émotion sourde, indéfinissable, qui flotte dans ses
sous-bois, agite le blé de ses campagnes.
Au sortir de l'Académie anversoise, EVARISTE CARPENTIER s'adonna
avec enthousiasme, encore qu'avec mesure, à la peinture historique.
N'était-elle pas alors fort en honneur chez nous, où
de grands noms comme Leys l'avaient illustrée,où d'autres
l'illustraient encore ? Carpentier brossa des scènes pleines
de vie, magnifiques d'ampleur, qui lui valurent un succès
rapide.
Connu et admiré à Amsterdam, à Paris, à
Nice, Berlin, Barcelone, et jusqu'en Amérique, il se fixa
à la Hulpe. Là, dans la campagne brabançonne,
il se laissa séduire par la nature, ou plutôt par la
vie sans apprêt, parée de sa seule poésie, que
Millet venait de révéler.
Carpentier traduisit les campagnes avec son tempérament robuste,
sa vision claire, sa piété simple. Ses tableaux, travaillés
en pleine pâte, sont comme l'émanation même des
champs.
Carpentier fut un impressionniste, en ce sens que ses toiles
font
un trou dans le mur où on les append, fenêtres
ouvertes sur la saine vie ensoleillée.
Cependant, il serait vain de vouloir lui assigner sa place dans
une quelconque classification, Il a touché à tous
les genres. Il est de ceux qui échappent aux étiquettes
parce que leur inspiration est diverse connue la vie elle-même.
La nature morte et le portrait l'ont également sollicité,
la scène de genre comme le paysage. Et il est plus d'une
de ses esquisses, faites de quelques coups de brosses, qu'envieraient,
pour leur audace, bien des jeunes dédaigneux des règles
et les maîtres.
Voilà bien longtemps que je vous lis et que je vous admire.
Beaucoup de gens, ces dernières années surtout,
se sont piqués de gastronomie et presque chaque journal
ou hebdomadaire possède sa rubrique de la bonne table.
Or, la plupart du temps, la cuisine dont on parle est une cuisine
de fantaisie qui s'harmonise mieux avec les meubles gonflables
en plastic qu'avec une bonne et solide salle à manger.
Carpentier, dont l'oeuvre est représentée aux musées
d'Anvers, de Courtrai, de Malines, de Namur, de Bruxelles, de
Liège, aussi bien qu'aux musées de Berlin et de
Trieste, connut tous les succès, et les plus flatteuses
distinctions officielles ne lui manquèrent point.
En 1897, l'Académie des Beaux-Arts de Liége le priait
d'accepter la charge de professeur de peinture en remplacement
du maître liégeois Delpérée. Après
avoir hésité Carpentier se consacra à l'enseignement.
Ses élèves conservent de lui un souvenir ému:
un maître indulgent, au bon sourire, mais surtout un maître
enthousiaste qui s'efforçait de leur communiquer son grand
amour de la belle couleur et de la ligne pure, son grand amour
de l'Art.
En 1902, Carpentier devenait Directeur de notre Académie;
il fut réélu en 1905. En 1919 seulement cet artiste
conscencieux, infatigable prenait sa retraite. Et c'était
pour travailler encore jusqu'au jour où la maladie l'empêcha
de tenir ses pinceaux.
Evariste Carpentier, dont les sentiments chrétiens ne se
démentirent pas un instant durant sa longue carrière
s'éteignit pieusement à Liége, le 12 septembre
1922.