L'invalide à la tête de bois
Nouvelle

  • Rédaction
    Lakeville (Connecticut, U.S.A.), rédaction achevée en février 1952.


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    Aucune.


  • Edition originale (publication posthume)
    In Trois nouvelles inédites, supplément au tome 12 de Tout Simenon (Paris, Presses de la Cité, 1990).


  • Réédition(s) en français


      L'inavlide à la tête de bois, 1999.
    Réédition (France Loisirs).


  • Edition(s) collective(s) en français
    Aucune.


  • Traduction(s)
    Liste non exhaustive

    En allemand :
    [ ? ] : [ ? ].

    En anglais :
    [ ? ] : [ ? ] (première édition américaine).
    [ ? ] : [ ? ] (première édition anglaise).

    En italien :
    [ ? ] : [ ? ].


  • Remarque(s)
    Jusqu'à sa publication en volume aux Presses de la Cité, L'invalide à la tête de bois était un texte demeuré inédit.

    Cette nouvelle date de la période américaine de Simenon. Dans une lettre à son éditeur parisien, Sven Nielsen, l'auteur parle de l'amorce d'une série de télévision pour CBS « dans le genre Maigret mais avec des personnages nouveaux ». Il a déjà écrit une nouvelle, La chanteuse de Pigalle. Mais, à New York, « ces gens étaient pressés. On n'avait pas le temps de traduire. » Une lecture a été organisée dans la chambre d'hôtel des Simenon. Denyse lisait à voix haute en anglais un texte écrit en français tandis qu'un sténographe prenait note. Quelques semaines plus tard, Simenon annonce à son éditeur qu'une seconde nouvelle est écrite (L'invalide à la tête de bois), qu'il en faudrait trois pour faire un volume. Cette troisième nouvelle n'a jamais vu le jour ; Justin Duclos, l'invalide à la tête de bois, ne devait pas trouver place au panthéon de la mythologie policière. Le projet avec CBS n'aboutit pas, comme avait d'ailleurs déjà avorté une précédente tentative américaine d'adaptation des « Maigret » pour la télévision.


  • Intrigue
    Fin juin, un été durant lequel la chaleur a été particulièrement torride. Dans l'appartement du quai de la Tournelle (Paris, France), la vie bat son rythme de tous les jours. La concierge, Mme Arnaud, avait aidé Lili à habiller son père avant de regagner sa loge, vers dix heures.

    Il y a sept ans, Justin Duclos dirigeait encore la Brigade Spéciale. Depuis qu'une balle l'a atteint à la colonne vertébrale, le jour de sa mise à la retraite, il a perdu l'usage de ses jambes et son corps entier semble figé. Même la mobilité de ses traits a disparu et il faut voir son visage de près pour en deviner l'expression. Les circonstances du drame n'ont jamais été élucidées. Avec quelques amis, Justin Duclos avait pris un dernier verre à la Brasserie Dauphine, puis était rentré chez lui, à pied. Il avait alors été abattu d'une balle, sans avoir eu le temps de voir son agresseur ni d'où le coup était parti. On supposait que le meurtrier était en voiture, mais on n'en était pas certain.

    C'est vers huit heures, en ouvrant les fenêtres, que Lili — la fille adoptive de l'invalide — aperçoit pour la première fois un homme qui, sur le quai, semble s'intéresser à l'appartement de Duclos. Ce n'est pas un clochard comme les autres : il a l'air d'un vagabond certes, mais il y a quelque chose d'inquiétant dans son regard. Elle est sûre que son père l'a vu, lui aussi, et a même hésité à lui demander s'ils se connaissent. Mais elle sait qu'il n'aime pas les questions.

    Plusieurs fois, Lili se demanda si l'homme aurait le courage de monter. Jusqu'à ce qu'il le fasse et qu'il frappe si discrètement à la porte qu'on eût dit qu'il espérait ne pas être entendu. Mais Lili a l'oreille fine… Elle fait entrer le visiteur et l'ancien commissaire — qui l'a appelé par son patronyme, Camus — l'invite à s'asseoir.

    Après un long silence, les deux hommes parlent bas. Lili ne parvient pas à entendre ce qu'ils se disent. A un moment, elle annonce qu'elle sort pour aller faire son marché. En réalité, elle s'arrête à l'étage au-dessous, chez son amie Juliette, à laquelle elle confie le soin de faire les courses tandis qu'elle guettera la sortie de l'homme qui s'entretient avec son père.

    Lorsque le dénommé Camus quitte l'immeuble, elle le suit jusqu'au Pont de Sully où il se fait abattre presque à bout pourtant, par un tireur embusqué dans une voiture roulant à pleine vitesse. De peur d'être retenue comme témoin, Lili quitte les lieux de l'attentat et rentre chez elle.

    Durant le repas de midi, Lili se garde bien de raconter à son père ce qui vient d'arriver à Camus. En revanche, contrairement à ses habitudes, Duclos accepte de parler de Camus à Lili. Condamné pour meurtre, il a fait vingt ans de bagne. Elle n'ose toutefois pas lui demander pourquoi il est venu lui rendre visite.

    Vingt ans de bagne. Or il y a à peu près vingt ans que Duclos a recueilli et adopté Lili, après avoir envoyé son père à l'échafaud. Elle se demande si Camus a quelque chose à voir avec cette affaire-là. Son père s'appelait Joseph Vallé — Lili l'avait découvert en consultant les archives d'un grand journal du matin — et une vieille mercière avait été tuée à coups de tuyau de plomb rue Picpus. Deux hommes avaient été arrêtés, dont son père. Tous deux niaient avoir frappé et accusaient un certain René, dont ils ne connaissaient que le prénom. Aux Assises, le René mythique n'avait pas pesé lourd et les deux hommes avaient payé ce crime de leur propre vie. A la demande d'un des deux condamnés, Duclos avait assisté à l'exécution.

    Lili avait été découverte deux semaines plus tard, abandonnée dans la chambre d'un hôtel proche de la Bastille. Elle n'avait que quelques mois. Quant à sa mère, elle a disparu et on ne l'a jamais retrouvée.

    Sur les journaux du matin, sans doute après la visite de Camus, Justin Duclos a griffonné trois mots : « Gaston - Copains - Roquette ». Une fois la table débarrassée, Lili sort et se rend dans un café du quartier, où elle prend un jeton de téléphone. Elle appelle, le Bar des Copains et demande à parler à M. Gaston. Rendez-vous est pris pour le soir même, à onze heures.

    Au milieu de l'après-midi, alors que Lili est rentrée à la maison, Justin Duclos reçoit un coup de fil d'Emile Berna, l'actuel chef de la Brigade Spéciale. A chaque affaire compliquée, il contacte son ami afin de recueillir son avis ou un conseil. Berna lui annonce l'identité du mort du Pont de Sully. Duclos promet de feuilleter ses carnets, afin de voir s'il retrouve quelque chose sur Evariste Camus. Mais il ne parle pas à Berna de la visite que celui-ci lui a rendue le matin même.

    Dans ses calepins - où étaient résumées toutes les affaires criminelles des quarante dernières années - l'ex-commissaire met la main sur ses notes concernant Camus. C'est lui qui l'a arrêté, avec l'inspecteur Torrence. A l'époque, Camus était jeune et pauvre. Médecin rue de Caulaincourt, il avait parmi ses clientes une femme fortunée, plus âgée que lui. Elle l'a poursuivi de ses assiduités et fait de somptueux cadeaux. Camus s'est mis à jouer. Elle exigeait de lui des piqûres de morphine et c'est par erreur qu'il lui a injecté un poison. Affolé, il a essayé de dissoudre le corps dans une baignoire remplie d'acide sulfurique. La préméditation n'a jamais été prouvée et Camus s'en est tiré avec vingt ans de bagne.

    Après le dîner, la concierge vient aider Lili à mettre l'infirme au lit. A dix heures et demie, la jeune femme s'habille et sort. Elle se rend rue de la Roquette 33 bis, au Bar des Copains. Comme convenu, elle s'installe à la table sous l'horloge et commande un diabolo.

    Lili attendit longtemps avant qu'on vienne la chercher. Car M. Gaston n'avait pas pu venir. Il l'attendait un peu plus loin. On allait la conduire. Dans la rue, l'homme marche à côté de Lili. A un moment, il la pousse dans une impasse sombre, où deux bras vigoureux la saisissent. On la bâillonne, lui enfile un sac sur la tête et lui attache les mains dans le dos. Après quelques pas sur les pavés inégaux, elle franchit une porte et se retrouve étendue sur un lit dont le sommier grince. Dans la chambre, un homme d'une soixantaine d'années, chauve et armé, la surveille, assis dans un fauteuil.

    Il lui apprend que Gaston n'est personne, mais un simple mot de passe pour arriver jusqu'à lui. Il lui tend une photo, faite il y a dix ans. Mme Duclos vivait encore et Justin était chef de la Brigade Spéciale. Lili est aussi sur la photo. Elle avait deux tresses dans le dos.

    Son gardien lui avoue être un vieil ami de Justin. Un camarade d'enfance. Ils ont été à l'école ensemble. Mais il est aussi l'homme qui a tiré sur Duclos, le jour de sa retraite, afin de venger la mort de son fils, que l'ancien commissaire avait envoyé à la guillotine. Il nourrit à l'égard de Duclos une haine féroce, parce qu'il l'a supplié à genoux d'épargner son fils et que le policier n'a pas arrêté son enquête. Il a aussi connu le père de Lili et tué sa mère, devenue un témoin gênant. Il se vante d'avoir jusqu'ici échappé à Duclos et à toutes les recherches de police, d'avoir accumulé une fortune considérable, d'être un homme puissant et craint.

    Lili lui fait remarquer qu'il est un lâche aussi. Car ce n'est pas lui qui tient le revolver et qui tire : il y a toujours un homme de main, qu'au besoin il fait descendre… comme cela a été le cas avec Camus quelques jours après sa sortie du bagne.

    Entre Lili et le truand, la tension monte. Au moment où celui-ci sort de la chambre pour donner des ordres qui visent l'exécution de Lili, la police fait irruption dans la pièce. L'inspecteur Lapointe en tête, tout heureux d'être arrivé à temps pour sauver Lili.

    Le commissaire Berna est présent, lui aussi. L'homme qu'il arrête et qui était recherché depuis quinze ans se nomme Rabut. Dans son for intérieur, Duclos a toujours soupçonné Rabut d'être - directement ou indirectement - la cause de son handicap.

    Emile Berna reconduit Lili quai de la Tournelle. Depuis son appartement, Justin Duclos a dirigé toute l'opération. L'après-midi, il avait appelé Lapointe au Quai des Orfèvres pour lui demander de suivre Lili. La police avait besoin d'un appât : sans Lili, elle n'aurait (peut-être) jamais pu coincer Rabut.

    Quant Berna eut quitté son ami et la gamine - il n'avait jamais pu se résoudre à appeler Lili autrement - la jeune femme alla se jeter dans les bras de son père adoptif. Jamais elle n'avait eu aussi peur mais, dès la visite de Camus, elle avait l'impression que cette affaire lui en apprendrait sur son passé plus qu'elle n'en savait jusque-là.

    Dans les bras de Duclos, Lili laissa libre cours à son émotion. Elle avait eu son compte, aujourd'hui. Elle renifla plusieurs fois…




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