Sujet
[Sources : Monique Picard in « Les confessions
de Simenon » (« L'illustré », n°52 du
23 décembre 1981) ; Maurice Monnoyer in Trois heures avec
Simenon (Montpellier, Chez Maurice Monnoyer, 1989).]
Simenon septante-huit ans. Il est célèbre, riche et
lu dans le monde entier. Pourtant, il déroule une dernière
fois, à l'envers, le fil de sa vie et se remet encore en question.
On croyait qu'il avait tout dit. Pas du tout. Il gardait quelques
images de son passé pour lui. La mort de sa fille Marie-Jo,
au printemps 1978, a fait sauter les derniers verrous. Il ne s'excuse
ni ne s'accuse. Il fouille jusqu'au moindre détail.
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Monique Picard,
« Les confessions de Simenon », 1981. |
La lecture des
Mémoires intimes provoque des sentiments
contradictoires. S'agit-il d'un monument de tendresse élevé
par un père à la mémoire de sa fille ? S'agit-il
d'un règlement de compte de l'écrivain avec son passé,
mais aussi avec sa femme Denyse Ouimet dont il est divorcé
(comme s'il ne pouvait plus prononcer son nom, Simenon, tout au long
de son énorme livre, ne l'appelle que D. Il ne la nomme qu'en
exergue, pour s'excuser auprès de ses lecteurs des passages
supprimés dans le livre par jugement du Tribunal de Grande
Instance de Paris) ? S'agit-il de la confession déplaisante,
voire irritante, d'un vieillard se complaisant à se dévêtir
psychologiquement, sentimentalement, sexuellement ?
Une chose paraît évidente : Simenon a voulu écrire
une suite à Pedigree, et, sans la moindre pudeur, se mettre
à nu. Il livre toute sa vie, qu'il raconte à Marie-Jo
et à ses trois fils, Marc, Johnny et Pierre. Cette vie, il
la raconte « la mémoire enfin débarrassée
du sordide » et avec une stupéfiante précision.
Les lieux, les gens, l'atmosphère, tout est noté. Tel
quel. Ce n'est pas le romancier qui tient la plume, mais l'ethnologue.
L'ethnologue de la tribu Simenon. Femmes et enfants en tête,
bien sûr, mais aussi gouvernantes, nurses, chauffeur, secrétaires,
amis et amies, animaux, maisons, voitures. Désormais, n'importe
qui ayant lu ces
Mémoires pourra parler de Simenon comme
s'il avait partagé sa vie.
Tout y est dit. Des
bobos aux troussages de dames et de demoiselles.
Car Simenon, chacun le sait, n'a pas pêché par manque
d'amour envers son prochain, surtout pas au féminin pluriel.
L'étonnant, c'est que malgré la crudité des détails,
le récit n'a rien du déballage. Simenon n'analyse ni
ne dilue. Il aligne les faits d'une vie ordinaire.
Alain Decaux dit qu'on connaît mieux les morts que les vivants.
Que les
Mémoires sont, généralement, écrits
pour la galerie, donnant ainsi une image insignifiante de leur auteur.
Simenon constitue l'exception. Et s'il se raconte, sans complaisance,
c'est parce que, toute sa vie, il a toujours été curieux
de tout. Pas seulement de l'homme qu'il a regardé vivre aux
quatre coins du monde, de la femme qu'il a poursuivie douloureusement
tant le besoin de se confondre avec elle devenait impérieux.
Curieux aussi de la mer et de la terre qu'il respecte comme un croyant
respecte et vénère son dieu, des arbres, des moindres
insectes, du plus petit être vivant dans l'air ou dans les eaux.
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Maurice Monnoyer,
Trois heures avec Simenon, 1989.
Edition originale. |
Pas d'argent, mais une folle envie de vivre ! Simenon a été
petit journaliste et grand reporter, secrétaire d'un marquis,
conteurs sous différents pseudonymes. Il a essayé la
boxe en salle, s'est marié une première fois à
dix-neuf ans, a roulé sur une grosse moto américaine
sur la route des Ardennes et réalisé lui-même
les plans de sa somptueuse maison d'Epalinges (Vaud, Suisse).
Mémoires intimes, c'est encore le récit des rencontres
avec ses grands amis : Pagnol, Cocteau, les frères Kessel,
Pierre Lazareff, Picasso, Chaplin, Fellini
L'accablant témoignage
des rapports passionnels, puis de plus en plus tumultueux, avec Denyse,
sa seconde femme, qui rêve de se hisser à la hauteur
de son mari, de briller et de dominer, mais qui boit et sombre dans
la dépression nerveuse
Le cri de douleur ; l'hommage
à Marie-Jo, sa fille adorée, qui mythifie son père,
rêve d'un amour incestueux, lit tous ses livres, cherche désespérément
sa voie et, malgré les soins prodigués par d'éminents
psychiatres, perd peu à peu son équilibre mental
Le dialogue entre le père et la fille devient pathétique
; c'est pour elle que Simenon, pour clore ses
Mémoires,
ouvre le
Livre de Marie-Jo : la reproduction des lettres, des
poèmes et des cassettes qu'elle lui a adressés. Des
pages brûlantes d'une tendresse excessive, d'amour de la vie,
de larmes, de supplications