Intrigue
En automne, dans un hameau perdu au cur de la forêt
d'Orléans (Loiret, France) où l'on s'éclaire
encore à la bougie bien qu'on ne soit qu'à une centaine
de kilomètres de Paris, les surs Potru, Amélie
(soixante-cinq ans) et Marguerite (soixante-deux ans) ont été
sauvagement agressées. Elles habitent seules la maison que
leurs parents leur ont laissée et où elles ont toujours
vécu, passent pour avoir des économies (ne sont-elles
pas d'ailleurs propriétaires de trois autres maisons dans
le village ?) et ont une solide réputation d'avarice.
On a retrouvé Marguerite morte, la poitrine transpercée
de trois coups de couteau, la joue droite déchirée,
un il à moitié crevé et, non loin d'Amélie,
hébétée, baignant dans son sang. Son corps,
sur le côté droit principalement, porte onze blessures.
Aucune n'est grave, mais elle a perdu beaucoup de sang. C'est elle
qui a donné l'alarme. Une commode a été fouillée
et le vol semble être le mobile du crime.
L'enquête menée sur place conduit la police à
soupçonner Marcel Potru (trente-neuf ans), le fils naturel
de la victime, une sorte de brute adonnée à l'alcool,
et un charretier yougoslave nommé Yarko. Le soir du drame,
Marcel a mangé avec sa mère et sa tante ; dans la
maison, il a laissé de nombreuses empreintes. Le Parquet
d'Orléans a ordonné son arrestation. C'est un être
taré qui travaille comme bûcheron et habite une ferme
en ruine près de l'étang du Loup-Pendu. Il passe des
semaines hors de chez lui, sans donner signe de vie à sa
femme et à cinq enfants qu'il nourrit surtout de coups.
Cinq jours après son agression, Amélie n'a toujours
pas prononcé un mot. Elle est soignée chez elle et
veillée par sa voisine, Marie Lacore (un peu plus de trente
ans), la femme du forgeron. Malgré son immobilité
et ses pansements, elle observe tout ce qui se passe autour d'elle,
mais ne pipe pas mot.
Tout le dossier a été transmis au commissaire Maigret
: le plan détaillé des lieux, les photographies
et les procès-verbaux des interrogatoire. Il a fait le
voyage en train jusqu'à Vitry-aux-Loges, puis on l'a mené
en camionnette chez les surs Potru.
Après être allé voir Marcel dans sa cellule,
le commissaire tenait à sentir l'atmosphère dans
laquelle le drame s'était passé. Il ne croit ni
en la culpabilité de Marcel, ni en celle du Yougoslave,
malgré les nombreux indices qui les accusent. Maigret s'intéresse
à la maison des surs Potru, à la configuration
des pièces et à la mise en scène du meurtre.
Dans un réduit à peine éclairé par
une lucarne, sur des tonneaux, on a retrouvé des larmes
de bougies que l'Identité judiciaire a désignées
comme provenant de la bougie de la pièce principale. Les
enquêteurs ont conclu qu'elles avaient été
laissées par Marcel alors qu'il était allé
se servir à boire.
Maigret fait scier les deux tonneaux vides et y trouve toutes
les économies des surs Potru. Les murs de leur maison
ne respirent pas seulement l'avarice, mais aussi la haine. Une
haine rancie au cours de longues années de tête-à-tête,
d'existence commune, de nuits passées dans un même
lit et d'intérêts similaires. Une haine attisée
par les mille incidents de la vie quotidienne.
Marguerite avait eu un enfant ; elle avait connu l'amour tandis
que sa sur aînée n'avait même pas eu
cette joie. Pendant quinze ou vingt ans, Marcel vit entre ces
deux femmes avant d'être livré à lui même.
Amélie en a peur ; elle en veut à Marguerite de
lui laisser toucher leur argent et leurs titres.
Un jour, il viendra nous assassiner
Maigret n'est pas certain que cette phrase ait réellement
été prononcée par Amélie, mais il
en jurerait ! A force de haine, l'aînée a tué
la cadette, caché l'argent pour faire croire à un
vol et accuser Marcel. Puis, la main entourée d'un chiffon,
elle s'est mutilée maladroitement et a brûlé
le couteau dans la cheminée.
Devant le tonneau scié, Amélie Potru ne desserre
pas les lèvres. Marie Lacore l'a fait s'asseoir sur le
lit. On entend les ressorts grincer. Maigret demande qu'on aille
chercher le maire. Il servira de témoin.