Intrigue
Il y a vingt-six ans, Nicolas a emporté les trois-cent-dix
francs que contenait le tiroir ne laissant qu'une pièce
de deux sous au fond de celui-ci et une lettre :
Ma chère Amélie,
Une affaire extrêmement importante, qui nous apportera la fortune,
m'oblige à partir sans attendre ton retour. Tu peux avoir confiance
: je reviendrai et je reviendrai riche. En attendant
Il n'est jamais revenu. Le lendemain, Mélie a appris qu'il
s'était embarqué pour l'Algérie avec une petite
chanteuse noiraude qui habitait la chambre en dessous de la leur et
à qui, Mélie, bonne bête, raccommodait les bas
Depuis, Nicolas a signalé son existence par quelques lettres.
Ces lettres dont il a le secret
De vagues promesses venant de
l'étranger, assorties parfois de demandes d'argent, que Mélie
a parfois honorées.
Et voilà qu'un jour, il réapparaît. Il ne porte
plus barbe ni moustaches et doit avoir un dentier, car sa bouche fait
un drôle de pli mou. Evidemment, il est sans le sou la
faute à pas de chance, à ces affaires mirobolantes qui
finissent par capoter humble et pitoyable.
Mélie, elle, tient une poissonnerie. C'est une commerçante
active et courageuse, qui a le propos vif et le cur sur la main.
N'est-elle pas le refuge rêvé pour Nicolas ?
Avant, elle l'admirait. C'était une gamine des rues, une gamine
qui travaillait au marché au poisson. Il était, lui,
un monsieur, le fils du directeur de l'usine à gaz, et c'était
elle qui se retournait quand il passait. Maintenant, sa serviette
ne contient plus qu'une chemise sale, une vieille paire de pantoufles,
un morceau de savon et une brosse à dents dans un bout de journal.
Mélie le nourrit et le loge dans le cagibi. Il fera la
chine
(la vente du poisson), à la place du vieux Loiseau, mort peu
de temps avant son arrivée. On l'appellera Jules, car Mélie
a annoncé depuis longtemps que son mari était mort.
Mais Nicolas n'est même pas capable de hisser une caisse de
poisson sur la charrette. Alors, avec sa serviette sous le bras et
sa canne, il reprend sa dignité et annonce avec mélancolie
son départ. Un sourire si pauvre sur les lèvres, que
Mélie a compris
Elle l'envoie loger chez la fille de Valabelle, qui tient l'auberge
près du Marché :
Tu lui diras que tu viens de ma
part et qu'elle te donne la chambre du second
Ils te feront
la pension
Tu n'auras qu'à raconter que tu es mon cousin
et que c'est moi qui payerai
Et lui, encore une fois :
C'est à charge de revanche, Amélie
Il s'éloigne à reculons. Disant qu'il reviendra
parole d'honneur ! quand ses affaires iront mieux