Intrigue
Paul loge chez sa tante, une modeste pensionnée, veuve d'un
employé des chemins de fer, au 37 bis rue de Turenne (Paris).
Son ami Nicolas, un musicien, vit sans feu ni lieu. Toujours enrhumé
du cerveau, engoncé dans un énorme cache-nez de tricot
rose bébé, il fait partie d'un groupe de quatre ou cinq
jeunes Lillois tous plus ou moins artistes et appelés
à de hautes destinées qui se réunissent
régulièrement dans un petit café de Montmartre.
Un soir qu'ils sortent ensemble du café, Paul demande à
Nicolas s'il a quitté son hôtel de la rue des Dames.
Cela fait trois jours ; et trois nuits qu'il couche nulle part. Comme
il fait froid, Paul lui propose de l'héberger clandestinement,
dans sa chambre, une fois la nuit tombée et la tante couchée.
Ils conviennent d'un signal une lumière qui s'éteint
et se rallume deux fois coup sur coup et Nicolas qui attend
sur le trottoir rejoint son camarade.
La combine réussit si bien qu'elle devient une habitude. Nicolas
couche par terre, tout habillé, et quitte l'appartement à
sept heures du matin, avant que la tante de Paul se lève à
son tour.
Paul, lui, s'en va à huit heures et demie, après avoir
pris son café au lait et ses croissants en tête à
tête avec sa tante. Il se destine au journalisme et, en attendant
mieux, travaille comme correcteur dans une imprimerie de la Bourse.
Il devient de plus en plus difficile de réveiller Nicolas et,
un matin, après huit ou neuf jours d'hébergement clandestin,
Nicolas refuse de se lever et se cache sous le lit de Paul. Et dès
lors, il s'enhardit à rester dans l'appartement le plus longtemps
possible, tandis que la tante vaque aux affaires du ménage.
L'insolite de la situation n'est pas pour déplaire à
Nicolas, qui profite aussi désormais du garde-manger. Puis
de la salle de bains. Et un matin qu'il se prélasse dans la
baignoire alors que la tante de Paul avait prévu d'aller au
cimetière, celle-ci rentre à l'improviste, craignant
de ne pas avoir éteint le gaz.
Quand Paul rentre du travail, le soir, il trouve Nicolas attablé
avec sa tante.
On s'est expliqué, dit-elle. Et comme
elle a bon cur, elle propose que Nicolas reste quelques jours
de plus, mais qu'il dorme sur un lit de camp et non plus par terre.
Pendant que Paul et sa tante montent le chercher au grenier, Nicolas
disparaît. Sans rien dire, sans laisser de message. La situation
ayant perdu son caractère singulier n'a certainement plus d'attrait
à ses yeux...
Le surlendemain, les deux amis se retrouvent dans le petit café
de Montmartre. Des deux, c'est Paul le plus embarrassé. Il
n'en reproche pas moins son attitude à Nicolas.
Et après ? Tu ne voudrais tout de même pas que
j'accepte votre hospitalité ?...
Paul gardera à Nicolas une rancune telle que le groupe d'amis,
entraîné par lui, changera de café pour dépister
le musicien.