Sujet
[Source : Mathieu Rutten in Simenon (Nandrin, Eugène
Wahle, 1986).]
Pour Simenon, ses
Dictées
sont une affaire de conscience personnelle et professionnelle. Ceci
est compréhensible de la part de quelqu'un, qui, pendant un
demi siècle, a dû subir la pression d'une créativité
intense, trop forte pour un individu. Nous savons qu'elle l'a mené
aux limites du possible, qu'elle a frisé la pathologie, la
psychopathie, l'effondrement.
Simenon a toujours écrit en toute sincérité,
cherchant à comprendre l'animal humain. Il a essayé
de comprendre, « jusqu'à un certain point, ce qu'on appelle
en langage d'aviation
the point of no return : c'est-à-dire
le point extrême d'où l'on ne revient pas
Je me
suis toujours tenu plus ou moins dans cette sorte d'équilibre
instable. Donner le maximum de moi-même ; ressentir le maximum
: mains un maximum que je gardais prudemment sous contrôle.
Lorsque j'ai décidé, à soixante-dix ans (1972-1973),
de cesser d'écrire des romans, c'est-à-dire d'arrêter
cette quête de l'homme, c'est surtout que je sentais que j'allais
dépasser mes limites ».
Comme il en témoigne dans
Vent du nord, vent du sud,
Simenon s'est trouvé devant un choix fondamental : vivre sa
vie ou connaître, enfin, cet homme nu qu'il traque depuis si
longtemps. « A tort ou à raison, il me semblait que si
je continuais à aller de plus en plus loin dans les motivations
humaines, mon équilibre mental risquait d'en pâtir
».
Et Simenon aurait été menacé du même sort
que Nietzsche, Gauguin ou Van Gogh.
Simenon ne s'est jamais considéré comme un génie,
mais comme un homme parmi les hommes. « Je ne suis pas un penseur.
Je ne suis pas un professeur de vie. Je ne suis, au fond, je m'en
rends compte aujourd'hui, qu'un récepteur. [
] Je me sens
de plus en plus, non pas comme un peintre du dimanche, puisque je
n'ai jamais su peindre, malgré l'envie que j'en ai eue souvent
et que j'en ai encore parfois, mais un écrivain du dimanche,
c'est-à-dire un amateur. On dit aussi un naïf. Mais n'ai-je
pas toute ma vie été un naïf ? Je finis par me
le demander ».