Intrigue
Maigret vient de recevoir un curieux coup de téléphone.
Pas du ministre lui-même mais de son chef de cabinet, qui ne
cesse de parler de prudence et de discrétion. Un ancien ministre
et ambassadeur a été découvert mort tué
par plusieurs coups de pistolet dans l'appartement où
il est né, rue Saint-Dominique, dans le faubourg Saint-Germain
(Paris, France). Il travaillait dans son bureau, écrivant ses
Mémoires.
La victime est le comte Armand de Saint-Hilaire (septante-sept ans).
C'est sa gouvernante, Jaquette Larrieu, qui a découvert le
corps. Dès le début de son enquête, Maigret apprend
que le comte s'est rendu célèbre dans son milieu par
une incroyable histoire d'amour. En effet, depuis plus de cinquante
ans, Saint-Hilaire aime d'un amour platonique presque mystique
la princesse Isabelle de V., dite Isi (septante-deux ans),
fille du duc de S., épouse puis veuve du prince Hubert de V.
Ils habitent dans le même quartier, mais cela fait près
d'un demi-siècle qu'ils ne se voient pas, bien qu'ils s'écrivent
quotidiennement ! Durant toutes ces années, Jaquette Larrieu,
qui a consacré sa vie au comte de Saint-Hilaire, a servi d'intermédiaire
dans l'échange de leur volumineuse correspondance.
La raison de cette absence de contact direct réside dans le
fait qu'Isabelle a été obligée par devoir
de se marier avec le prince Hubert et de lui faire un enfant
mâle.
L'octogénaire prince Hubert meurt des suites d'un accident
d'équitation. Dès lors, plus rien ne s'oppose à
ce que Saint-Hilaire épouse enfin Isi, à laquelle il
avait dû renoncer cinquante ans plus tôt faute d'argent.
Si ce n'est que, trois jours après le décès du
prince Hubert, Saint-Hilaire est assassiné !
La succession du comte étant modeste, l'union des deux vieillards
un peu fous n'aurait lésé personne. Ni l'antiquaire
Alain Mazeron, neveu de Saint-Hilaire ; ni le prince Philippe de V.,
fils d'Isabelle, homme bien établi et père de six enfants.
Le vol, pas plus que la politique le retraité comte
de Saint-Hilaire était bien inoffensif ne sont les mobiles
du meurtre. L'enquête plonge Maigret dans un profond malaise.
Les vieux aristocrates qu'il doit interroger semblent évoluer
dans un monde particulier, à la fois irréel et intemporel,
dans lequel il n'arrive pas à s'intégrer.
Malgré son amour chaste pour la princesse Isi, Saint-Hilaire
ne s'est pas privé de coucher avec toute femme consentante
; Jaquette Larrieu incluse. Aurait-elle tué pour conserver
ses prérogatives ? Le commissaire ne peut pas le croire. A
contrecur, il doit porter ses soupçons sur elle et découvre,
non sans stupeur, qu'elle a récemment utilisé une arme
à feu au cours des dernières quarante-huit heures. Le
test de la paraffine est formel !
La vieille gouvernante était-elle donc jalouse qu'une femme
s'introduise entre elle et le comte ? Longtemps, Jaquette Larrieu
s'enferme dans un mutisme total. Finalement, elle demande à
voir son confesseur, l'abbé Barraud, un homme de plus de quatre-vingt
ans.
Maigret accède à sa requête et, après un
long conciliabule avec le prêtre, Jaquette Larrieu passe aux
aveux. Oui, elle a tiré sur le comte Saint-Hilaire
mais
après que celui-ci se soit suicidé ! Parce qu'elle a
eu peur que l'Eglise refuse à son maître en raison
de son acte une sépulture chrétienne, elle a
fait feu sur le mort pour simuler un meurtre.
La vérité est que, depuis quelque temps, Armand de Saint-Hilaire
se croyait atteint d'une maladie incurable, bien que son médecin
lui ait affirmé qu'il était en parfaite santé.
Mais il ne voulait rien entendre et craignait qu'Isabelle, devenue
sa femme, ne connaisse de lui que les misères d'un corps usé
et malade. Il s'est donc donné la mort afin de ne pas ternir
un amour éthéré qu'aucune contingence n'avait
troublé pendant cinquante ans.
Mais ne serait-ce pas plutôt la perspective d'être bientôt
uni à sa chaste fiancée qui aurait poussé Saint-Hilaire
à se suicider ?