Bénis soient les humbles
Nouvelle

  • Rédaction
    « Stud Barn », Tumacacori (Arizona, U.S.A.), à la fin de l'année 1948 [ ? ].


  • Manuscrit
    [ ? ].


  • Publication d'une préoriginale
    La nouvelle paraît en anglais dans le mensuel américain « Ellery Quenn's Mystery Magazine » un mois avant d'être publiée dans la version française de ce même magazine (voir la rubrique Traduction(s) ci-dessous).

    Dans le mensuel « Mystère Magazine », n° 16, de mai 1949 ; pp. 3-29.
    Paris, Editions Opta ; 19 x 14 cm, 125 pages ; couverture illustrée.


      Bénis soient les humbles, 1949.
    Publication en préoriginale.




    « Mystère Magazine » se définit comme une publication mensuelle de récits policiers complets non abrégés : Opta publie, en français, des récits préalablement édités en anglais dans la revue américaine « Ellery Queen's Mystery Magazine ».


  • Edition originale
    In La douzaine du diable.
    Achevé d'imprimer : 1953.
    Paris, Editions de la première chance, Jourdain Conil ;
    Collection de la Tour Pointue.


      La douzaine du diable, 1953.
    Edition originale.


  • Réédition(s) en français

    [En préparation].


  • Edition(s) collective(s) en français
    Liste non exhaustive

    In Œuvres complète (Lausanne, Editions Rencontre, 1967-1973) - tome 25 (on trouve les deux versions Bénis soient les humbles et Le petit tailleur et le chapelier).
    In Tout Simenon (Paris, Presses de la Cité, 1988-1993) - tome 4 (on ne trouve que la version Le petit tailleur et le chapelier).


  • Traduction(s)
    Liste non exhaustive

    En allemand :
    [ ? ] : [ ? ].

    En anglais :
    1949 : Blessed are the Meek (première édition américaine).
    [ ? ] : [ ? ] (première édition anglaise).

    Dans le mensuel « Ellery Quenn's Mystery Magazine », n° 65 d'avril 1949 ; pp. 10-36.
    New-York : Ellery Quenn ; 19,5 x 14 cm, 144 pages ; couverture illustrée ; traduit du français par Frances Frenaye.
    L'illustration de la couverture de ce numéro est réalisée pour la nouvelle Blessed are the Meek.

    Blessed are the Meek a gagné le prix américain Ellery Queen au 4ème concours de la nouvelle policière. Ce premier prix a valu à Simenon la somme de 2'000 dollars.


      Blessed are the Meek, 1949.
    Edition américaine.




    En italien :
    [ ? ] : [ ? ].


  • Remarque(s)
    Bénis soient les humbles est une nouvelle dont la trajectoire éditoriale mérite quelques précisions. L'intrigue qui y est développée connaît une première version, écrite en mars 1947 et intitulée Le petit tailleur et le chapelier. Cette nouvelle ne sera toutefois publiée qu'en 1950 dans le recueil Maigret et les petits cochons sans queue (Paris, Presses de la Cité).

    A fin 1948 [ ? ], Simenon reprend Le petit tailleur et le chapelier et en modifie le dénouement. Il intitule le nouveau texte Bénis soient les humbles, qui est traduit en anglais et se classe en tête de quelque mille concurrents lors du 4ème concours annuel de la nouvelle policière organisée par l'éditeur américain Ellery Queen. C'est la première œuvre d'un auteur français à triompher de centaines d'écrivains anglo-saxons, en Amérique même, et l'un des rares cas où le prix est attribué à un non-Américain.

    Dans La douzaine du diable (1953), Igor B. Maslowski présente — sous le titre Bénis soient les humbles ou Le petit tailleur et le chapelier — les deux versions de ces nouvelles. L'essentiel du texte (page 15 à 47, soit les trois premiers chapitres) correspond à la partie commune aux deux versions. De la page 47 à 53, on trouve le dénouement tel qu'il fut publié pour la première fois sous le titre Blessed are the Meek. De la page 54 à 58, on trouve le dénouement tel qu'il figure dans la version Le petit tailleur et le chapelier écrite en mars 1947. C'est donc le quatrième et dernier chapitre qui a été modifié d'une version à l'autre.

    En décembre 1948, sur la base des deux nouvelles — Le petit tailleur et le chapelier et Bénis soient les humbles — Simenon écrit Les fantômes du chapelier. Le roman est publié en avril 1949 (Paris, Presses de la Cité) et développe la même intrigue, imaginant — pour le dénouement de celle-ci — une troisième alternative.

  • Intrigue
    [NDLR : chapitres 1 à 3, soit la partie de l'intrigue commune aux deux nouvelles, Bénis soient les humbles et Le petit tailleur et le chapelier.]

    Une ville française de la Loire (dont le nom n'est pas mentionné). On est en novembre. Depuis quinze jours, il pleut du matin au soir et fait nuit dès trois heures et demie de l'après-midi. Kachoudas, le petit tailleur de la rue des Prémontrés a peur. Comme les dix mille autres habitants de la ville. Il travaille à l'entresol, juste au-dessus de sa boutique. En face de chez lui, à moins de huit mètres, se trouve la chapellerie de M. Labbé.

    Comme chaque soir, vers cinq heures, le chapelier quitte son commerce et se rend au Café de la paix prendre l'apéritif et jouer aux cartes avec quelques habitués. Et chaque soir, Kachoudas emboîte le pas de son voisin, mais reste au milieu de la chaussée. C'est moins dangereux. Il se tient dix mètres derrière M. Labbé, qui longe les murs, pour s'abriter de la pluie. Kachoudas se sent rassuré par la présence du chapelier. Au café, il s'assied près du poêle, un peu à l'écart. C'est naturel. Il n'est que Kachoudas. Un étranger.

    C'est ce soir-là, que le petit tailleur fait sa découverte. Ce soir-là que, par hasard, ses yeux se posent sur le revers de la jambe gauche du pantalon de M. Labbé. Parce qu'il y a un petit point blanc. S'il n'avait pas été tailleur, il ne s'en serait pas occupé. Mais il dut penser que c'était un fil. Parce que les tailleurs ont l'habitude de retirer des fils. S'il n'avait pas été aussi humble, il n'aurait pas eu l'idée de se pencher. Mais Kachoudas saisit la chose blanche qui s'est glissée dans le revers et qui n'est pas un fil, mais un minuscule morceau de papier. Au lieu de jeter le bout de papier par terre, il le tend au chapelier et murmure : Excusez-moi… Car il s'excuse toujours. Les Kachoudas se sont toujours excusés. Il y a des siècles que, transportés comme des colis d'Arménie à Smyrne ou en Syrie, ils ont pris cette prudente habitude.

    Le regard de Kachoudas croise alors celui de M. Labbé ; et le tailleur sent son corps se figer. Un frisson extrêmement désagréable traverse sa nuque de part en part. Le chapelier prend le bout de papier, le triture entre ses doigts et en fait une boulette guère plus grosse qu'une tête d'épingle :

    — Merci, Kachoudas.

    Le petit tailleur reste sur sa chaise. Il a froid et chaud. Il pourrait claquer des dents. Il a peur. Car il a compris. Il a la certitude que c'est LUI, M. Labbé, l'auteur des quatre assassinats perpétrés contre des femmes dans la soixantaine, au cours de ces quinze derniers jours. Ce morceau de papier dans son revers, ce confetti avec un n et un t, n'en est-il pas la preuve ? N'est-ce pas avec des morceaux de papier imprimé que l'étrangleur annonce ses crimes à l'avance, par des billets anonymes adressés au « Courrier de la Loire ». Il a la certitude, aussi, que la prime de 20'000 francs qui récompensera celui ou celle qui permettra l'arrestation du tueur est pour lui, Kachoudas, le petit tailleur, qui aurait bien besoin de cette somme pour nourrir sa famille de huit enfants (bientôt neuf !).

    Kachoudas ne bouge pas. Il a envie de crier la vérité, de téléphoner à la police. Mais tout ce qu'il peut faire, c'est commander un deuxième verre de blanc, puis un autre, et encore un autre. Jusqu'à ce que l'alcool le soule et apaise son esprit en ébullition. Il n'ose même pas quitter le Café de la paix.

    Le petit tailleur évalue ses chances d'échapper au chapelier et de parler au commissaire envoyé de Paris pour élucider l'affaire de l'étrangleur. Mais il a peur de M. Labbé, et peur de la police aussi. Il croit trouver une solution quand le commissaire Micou lui commande la confection urgente d'un costume. Il pourra faire sa révélation au moment de l'essayage.

    Lorsque M. Labbé paie ses consommations, Kachoudas l'imite et sort juste derrière lui. De manière à l'avoir à l'œil et éviter une éventuelle embuscade. Le chapelier se dirige vers la rue des Prémontrés, puis la dépasse. Le tailleur ose à peine le suivre : il se voit déjà emmené en dehors de la ville pour être tué.

    Mais ce ne sera pas lui, la victime. Kachoudas va assister au cinquième assassinat de M. Labbé, qui étrangle une vieille demoiselle au moment où elle s'apprêtait à rentrer chez elle. Le tailleur s'enfuit. Est-ce par hasard qu'il se retrouve devant le poste de police ou avait-il vraiment l'intention d'y aller ? Une voix, derrière lui, l'en dissuadera :

    — Vous auriez tort, monsieur Kachoudas…

    Quand le tailleur se retourne, M. Labbé a disparu. Il rentre tranquillement chez lui, comme si de rien n'était. Kachoudas n'ira pas voir la police, pas plus qu'il ne parlera au commissaire le lendemain, lorsqu'il viendra essayer son nouveau costume.

    Le soir, au Café de la paix, Kachoudas boit son vin blanc. M. Labbé fait une partie de cartes avec le docteur, l'agent d'assurances et l'épicier. Il lui adresse un sourire. Un sourire sans arrière-pensée, comme s'ils étaient devenus des amis. Alors le petit tailleur comprend que cela fait plaisir au chapelier d'avoir un témoin, quelqu'un qui sait, qui l'a vu à l'œuvre, qui a compris qu'il n'agit pas par hasard et que ses crimes ont un sens. Quelqu'un pour l'admirer, en somme !

    Kachoudas lui rend son sourire, un peu contraint il est vrai. Et puis il se décide et commande un deuxième vin blanc. Un homme qui va gagner 20'000 francs peut bien s'offrir deux verres de vin blanc.

    [NDLR : chapitre 4, soit le dénouement de l'intrigue propre à la nouvelle Bénis soient les humbles.]

    Auparavant, Kachoudas se rend au couvent où l'épouse de M. Labbé a fait ses classes. Il y rencontre Mère Sainte-Ursule et comprend qui sont les deux prochaines victimes du chapelier. Les 20'000 francs sont bientôt à lui. Outre la religieuse, il y a la riche Mme d'Hauterive. Qui sait si elle n'augmentera pas la prime lorsqu'elle saura qu'elle lui doit la vie ?

    De retour à sa boutique, le tailleur trouve le commissaire, venu pour l'essayage de son nouveau costume. Kachoudas fanfaronne, jusqu'à ce que Micou lui annonce qu'une dame l'attend dans son bureau pour lui faire des révélations sur l'étrangleur. Il s'agit de la femme de ménage de M. Labbé lui-même.

    Kachoudas sent que l'injustice le menace. Il veut tout raconter au commissaire, avant qu'il ne soit trop tard. Mais il lui manque la preuve de ce qu'il va dire… Il a soudain une idée lumineuse, prend sa plus grosse paire de ciseau et la lance — à travers la rue — dans la fenêtre de la chambre à coucher des Labbé. La vitre éclate… et dans le fauteuil de l'épouse infirme du chapelier, il n'y a qu'une tête de bois sur un tas de chiffons.

    Mathilde Labbé est la première victime du chapelier. Les autres crimes n'ont été perpétrés que dans le but de cacher celui-ci. Mathilde ne quittait plus sa chambre et, chaque année, à la même époque, ses camarades de pensionnat lui rendaient une visite. Pour éviter qu'elles ne découvrent la disparition de son épouse, M. Labbé avait pris la décision de supprimer ses sept amies.

    Du commissariat, Micou fait amener la femme de ménage du chapelier à la rue des Prémontrés. Voyant son patron menottes aux poignets, elle devine que son témoignage ne lui vaudra pas les 20'000 francs de prime. Mais elle proteste, en réclame la moitié ; tandis que Kachoudas s'agite et cherche à défendre sa victoire.

    M. Labbé est calme et digne. Il sourit. A Micou qui l'interroge, il hausse les épaules ou fait le cynique. A Kachoudas, qui répond deux fois à sa place, il adresse un clin d'œil complice. Alors le petit tailleur, qui vient de gagner ses 20'000 francs, peut-être plus, cela dépendra de Mme d'Hauterive, ne peut faire moins que sourire.

    Un sourire un peu gêné, certes, mais amical. En tout cas bienveillant à l'égard de M. Labbé ; ce qui provoque l'indignation de la femme de ménage.

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