Texte intégral
Lakeville le 5 novembre 1950
Mon cher Dard,
Vous êtes un type courageux, je n'en doutais pas, et je
vous admire pour avoir passé en souriant par ce que vous
venez de passer. Pendant ce temps là, comme toujours,
j'écrivais des romans, trois pendant ces trois derniers
mois et il y en a un autre qui attend dans ma machine. Je me
sens en pleine forme. Le pays est magnifique et je suis heureux
au milieu de ma petite famille. Je regrette seulement de ne
pas vous voir cet hiver comme j'y comptais fermement. Peut-être
sera-t-il pour le printemps. N'oubliez pas de mênoyer
ce que vous publiez. Vous savez combien tout ce que vous faites
m'intéresse.
Je viens de recevoir un cable de Blanche Montel me disant que
la pièce est en répétition au théâtre
de l'uvre avec Rouleau comme metteur en scène.
Elle m'annonce une longue lettre. Je ne sais rien. J'allais
justement vous écrire que je vous laissais carte blanche
car elle ne s'est guère montrée à la hauteur
jusqu'ici. J'avais fort confiance en elle et me suis défrisé.
Tenez-moi au courant, puisque vous êtes sur place et qu'elle
m'écrit si peu. En tant que collaborateur, vous avez
le droit, vous aussi, de lui demader des comptes. Je vous soutiendrai
toujours.
Je comprends votre désir d'évasion mais je crains
bien que les derniers événements rendent la vie
aussi compliquée dans tous les pays du monde. Nous sommes
malheureusement nés, vous et moi, à une époque
intéressante. Vive les époque où
il ne se passe rien ! Vive Louis Philippe, par exemple !
Toute mon affection, mo cher Dard. Ma femme, avec qui je parle
beaucoup de vous, se joint à moi. Et les gosses.
Vôtre vieux,
Simenon
Georges Simenon
Shadow Rock Farm
Lakeville, Conn.