Sujet
[Source : Mathieu Rutten in Simenon (Nandrin,
Eugène Wahle, 1986).]
Dans
La femme endormie, dans
Les
libertés qu'il nous reste et dans
Jour
et nuit, Simenon aborde plus particulièrement une
question qui lui tient à cur : la dichotomie
homme
nu -
homme habillé. Que dire de cette vue de l'esprit
en tant que
réalité tangible ? Que dire de cette
quête qu'il poursuit tout au long de ses vingt-et-une
Dictées
? Voire tout au long de son uvre ?
L'
homme nu, ou l'
homme habillé ? Un problème
réél, ou un faux problème ? On peut se le demander,
en ne considérant que l'Homme tout court, c'est-à-dire
l'Animal humain, dans son développement historique.
Car après tout, l'Homme tout court, l'Animal humain, qu'il
ait été, historiquement, soi-disant nu ou habillé,
innocent ou perverti, sans taches ou entaché par son entourage
social, ne s'est-il pas comporté moralement, depuis que le
monde est monde, précisément comme l'Homme habillé,
à peine habillé ou habillé à l'excès
? Peu importe. Depuis la Renaissance, depuis le Siècle des
Lumières, faisant la distinction entre le philosophe non pratique
et le non-philosophe pratique, le développement historique
sur le plan des murs le plan des murs n'implique
pas exclusivement le moral, mais aussi le social, l'économique,
voire le technique ne s'est pas arrêté ; il nous
a conduit à l'Homme robot, à peine reconnaissable comme
Homme tout court, comme Animal humain, mais habillé en machine,
et qui plus est, se comportant comme la machine.
Ce que Simenon tend à oublier, c'est que le contact sensible,
émotif, intellectuel, le contact humain est, de tout temps,
le propre de l'homme, fût-il au commencement tout nu. De sorte
que vouloir opter délibérément pour l'Homme nu,
au désavantage de l'Homme habillé, ressemble étrangement
à vouloir opter pour une tantième utopique du genre
humain, à vouloir, sur le plan littéraire, réduire
au minimum indispensable, jusqu'à l'absurde, le champ d'investigation
du roman moderne. En effet, ce que nous désignons par civilisation
et qui dit civilisation, dit dévisagement, confrontation,
accommodement est à ce prix.