Sujet
[Source : Mathieu Rutten in Simenon (Nandrin,
Eugène Wahle, 1986).]
Lors de ses séjours à Porquerolles (Var, France), Simenon
ne soupçonne pas que son voisin de la presqu'île de Giens,
l'écrivain anglais Joseph Conrad, qu'il considère comme
l'un des plus grands romanciers du siècle, se préoccupe
du même problème que lui : l'axiologie
homme nu -
homme habillé, sur laquelle il s'attarde tout particulièrement
dans trois dictées,
Jour et nuit,
Les
libertés qu'il nous reste et
La
femme endormie.
L'
homme habillé celui que nous côtoyons
de prime abord en situation de société, organisée
ou non est, dans l'optique simenonienne, l'homme vêtu
de tous ses oripeaux et faux-semblants, cachant l'
homme nu,
c'est-à-dire l'homme primordial, essentiel, éternel,
non intégré historiquement et dont la nudité
dépouillée, l'authenticité première, est
signe d'unité cosmique et non pas d'unité sociale, d'humanisme
biologique et non pas d'humanisme culturel, d'enfance et non pas d'aliénation
pervertie.
Dans le cas de l'
homme habillé, il s'agit de celui qui
est s'est distancé de la nature, et de tout ce qu'elle implique
: instinct, intuition, irrationalisme, imaginaire, grâce, évangélisme,
en un mot, organicité vitale, comparée à la désorganisation
historique, qui est la conséquence de ce que nous appelons
: la recherche, le savoir, le bien-être, le progrès,
les murs, à quelque niveau du comportement de l'humain
que ce soit.
Il s'agit donc, pour l'
homme habillé, de nier l'Histoire,
de proclamer l'Ordre naturel ; mais c'est ici qu'intervient la situation
tragique : « Nier l'Histoire, c'est faire de l'Histoire, être
dans l'Histoire ».
L'explication de cette négation ne saurait être qu'historique.
C'est tout le drame simenonien, qui se répercute, selon une
dialectique inclusion-exclusion, dans les structures profondes, les
« Maigret » et les romans durs, de l'uvre.