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  Un Simenon peut en cacher un autre (suite)

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Simenon par Jean Cocteau.
Dessin à la plume, 1957 (Fonds Simenon, Liège, Belgique).
In Georges Simenon, d'Alain Bertrand
(Lyon, La Manufacture, 1988).



 
« La geste de Maigret ne s'embarrasse pas de la vraisemblance. »
Roger Stéphane.

Simenon construit son œuvre avec exactitude et prouve qu'il a le souci du détail vrai. S'agissant des « Maigret », il semble toutefois qu'il ait pris le parti de traiter son héros comme un personnage irréel, mythique. Il néglige complètement la chronologie de sa vie (ainsi que la contemporanéité de celle-ci avec des faits historiques) et ne tient aucun compte des limites de la compétence professionnelle d'un commissaire du quai des Orfèvres.

Simenon n'a cependant pas attendu la critique pour se rendre compte des contradictions qui émaillent ses « Maigret ». Volontaire, une négligence n'est plus que signe de désinvolture. Et il s'amuse même à relever certaines incohérences dans Les Mémoires de Maigret (1951) en se justifiant ainsi : « Je n'ignore pas que [m]es livres sont bourrés d'inexactitudes techniques. Il est inutile d'en faire le compte. Sachez qu'elles sont voulues, et je vais vous en donner la raison. La vérité ne paraît jamais vraie. Je ne parle pas seulement en littérature ou en peinture. Je ne vous citerai pas non plus le cas des colonnes doriques dont les lignes nous semblent rigoureusement perpendiculaires et qui ne donnent cette impression que parce qu'elles sont légèrement courbes. C'est, si elles étaient droites, que notre œil les verrait renflées, comprenez-vous ? Racontez n'importe quelle histoire à quelqu'un. Si vous ne l'arrangez pas, on la trouvera incroyable, artificielle. Arrangez-la, et elle fera plus vrai que nature. »



    Simenon par Bernard Buffet.
Pointe sèche, 1957 (Fonds Simenon, Liège, Belgique).
In Georges Simenon, d'Alain Bertrand
(Lyon, La Manufacture, 1988).


 
« Ce qui me plaît en vous, c'est l'homme de la foule, cette manière unique de voir l'être dans la fourmilière humaine, qui ne peut venir que d'un très grand esprit, supérieur encore à son ouvrage, pour grand que soit celui-ci. »
Max Jacob.

Simenon aime s'attacher à la vie secrète des gens. Il sait qu'il est impossible de vraiment comprendre autrui et que, de ce fait, il est impossible de le juger. Pour lui, il n'y a pas d'innocents, mais il n'y a pas non plus vraiment de coupables : « un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue ».

Tous ses personnages ont d'abord une vie banale dont ils subissent la routine jusqu'au jour où ils découvrent une vérité nouvelle qui leur extirpe ce qu'ils ont de plus secret, d'inavoué. Il est le romancier de l'incommunicabilité (Le chat) de la sexualité désordonnée (Lettre à mon juge), de la culpabilité (Les volets verts), de l'alcoolisme (Le fond de la bouteille), de la marginalité (Au bout du rouleau), mais aussi de la solitude (L'homme au petit chien) ; il se fait le confident de l'homme qui a peur, qui se cache.

L'œuvre romanesque de Simenon est la description fascinée d'un univers cerné par l'angoisse, où le destin de chaque homme est condamné à se dissoudre, au-delà des aventures inutiles, dans une irrémédiable solitude.

Simenon connaît admirablement bien l'humanité. Son œuvre est celle d'un clinicien. Quentin Ritzen l'a aussi présenté comme « l'avocat des hommes ». Simenon vit surtout en sympathie avec le monde : « pour moi, être heureux, c'est pouvoir glaner une dizaine de petites joies dans la journée : un déjeuner en tête-à-tête avec mon plus jeune fils, ma promenade de ce matin dans l'air vif… »



    Simenon par Maurice de Vlaminck.
Feutre noir, sans date (Fonds Simenon, Liège, Belgique).
In Georges Simenon, d'Alain Bertrand
(Lyon, La Manufacture, 1988).


 

« Les livres de Simenon attestent qu'il possède le talent de constructeur et d'animateur, la faculté de faire concurrence à l'état civil qui sont les dons du vrai romancier. Reste à savoir s'il pourra se libérer de cette hypothèque de la mort violente qui a pesé jusqu'à ce jour sur tous ses récits ou s'il a besoin de cette secousse initiale pour déployer sa puissance de visionnaire ? »
René Lalou.

Durant la carrière littéraire de Simenon, nombreux sont ceux qui ont annoncé son déclin, sa décadence, voire sa disparition. Or - hier comme aujourd'hui - son œuvre est partout. Elle a le triomphe modeste. Elle se lit, elle circule, elle bouge, elle se collectionne. Bref, elle est vivante, ce qui n'est pas une simple prouesse pour une œuvre achevée, synonyme d'œuvre morte aux yeux des thuriféraires de la nouveauté. Le monde de Simenon résiste envers et contre tout. La télévision et le cinéma n'en finissent pas de puiser dans son imaginaire. Internet ne sait plus où donner du site. Même la bande dessinée s'est emparée de cet univers que l'on aurait dit irréductible à des bulles et des cases.

Bien sûr, Simenon a longtemps été considéré comme un romancier populaire. Peut-être est-ce parce qu'en deçà des modes littéraires, dont il ne se préoccupait pas, il a su saisir ce que la condition humaine a de plus banal et de plus étrange, apparaissant en ce sens comme un émule de Zola et de Balzac (« sans les longueurs » ajoutera Marcel Aymé).

La comparaison avec Balzac n'est pas pour convenir sans réserve à Simenon, qui ne sent aucun point de contact avec ce dernier, sauf d'être un écrivain et d'avoir écrit à peu près autant de volumes que lui : « Balzac est préoccupé presque uniquement, comme ressort psychologique, de questions d'argent, de questions d'ambitions, de questions sociales qui me sont absolument étrangères. Mon œuvre est exactement à l'opposé de celle de Balzac. Vous ne verrez jamais dans mon œuvre de problèmes d'argent ou d'ambition. Chez Balzac, le milieu est subordonné au personnage ; il ne vient que pour l'étayer, l'épaissir. Chez moi, c'est le contraire, le personnage est le produit du milieu, je crois que j'ai emprunté ça aux Russes. »



    Simenon par Walthery, 1993.
Carte postale éditée par Max Belgium.


 
« On ne sait pas très bien ce qu'aurait pu être Simenon sans la littérature, mais on peut parfaitement mesurer, à la lumière de son œuvre, ce qu'aurait manqué le XXe siècle littéraire s'il ne s'y était pas mêlé. Car Simenon est à la littérature de [ce] siècle ce que l'arbre est à la souche : un tout indissociable, une évidence. Déracinez l'un, et l'autre est orphelin. »
Pierre Deleuse.


    Simenon, avec Mallet-Joris et Leautaux.
Fresque murale (détail) exécutée par Maître Felix Labisse à Oostende (Belgique).
Carte postale éditée par Jacques Schreurs et Vincent Fooy - Ferme Colas.



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